J’ai fait une grosse crise de déni. Comme vous toustes, j’ai vu que la cour d’assise du Val de Marne avait acquittée les deux policiers accusés du viol d’une femme ivre dans les locaux de la BRI.
J’ai occulté un temps parce que c’est quelquefois plus facile que d’accepter de vivre dans un immeuble en flamme. Évidemment ce jugement me renvoie à ma propre agression, à ce que je pensais être de la résilience.
Une à deux fois par an, je fais une petite crise de résilience. Ma crise de résilience, c’est ce moment où je me rends compte que c’est pas tout à fait passé, je suis pas tout à fait guérie, je suis encore mal, je souffre encore un peu, je n’ai pas totalement digéré.
La plupart du temps, ces crises ont le même déclencheur : lorsque j’entends parler d’une nouvelle victime ; qu’il s’agisse d’une affaire médiatisée ou de témoignage dans mon entourage, etc.
Une des possibilités serait peut-être de me couper de ce type d’information, vivre mon agression comme un fait unique, isolé.
Oublier toutes les circonstances systémiques qui ont permis à cette agression d’advenir,
Oublier les circonstances systémiques dans lesquelles elle a été traitée par la justice, celles dans lesquelles j’ai été prise en charge médicalement.
Oublier la part de responsabilité de la société.
Continuer à vivre dans un immeuble en occultant que ce dernier est en feu et qu’il fait d’autres victimes.
Sauf que je n’y arrive pas, je vois que tout crame. À chaque classement sans suite, chaque acquittement, ça sent le souffre et ça me rappelle cette brûlure que j’ai connu, il y a pourtant plus de 10 ans. Chaque nouvelle agression, chaque nouveau viol, c’est un échec qui me renvoie psychologiquement mais aussi dans ma chair à ce que j’ai vécu.
Dans son ouvrage “La résilience”, Serge Tisseron évoque 3 significations à ce terme qui nous vient des Etats-Unis, un terme dont la définition même ne fait pas consensus. Il y aurait “la résilience” : une capacité, une qualité à surmonter un choc ; cette dernière signification est plus souvent utilisée pour parler de matériaux.
Il y a la résilience qui désignerait “une force qui nous permet de négocier avec les ruptures de l’environnement et les bouleversements intérieurs qui en résultent.”
Pour finir, il y a la résilience comme processus. Ce qui suppose un travail jamais terminé.
S’agissant des survivantes d’agressions, beaucoup trop parlent de résilience comme d’une qualité, que certaines auraient et les autres pas, blâmant une nouvelle fois les victimes de ne pas être capables de transcender leur mal-être.
J’ai compris assez tardivement qu’il s’agit plus d’un processus et c’est d’autant plus le cas pour les survivantes d’agressions sexuelles qui doivent se reconstruire personnellement dans une société qui n’agit pas voire permet encore que de nouvelles agressions ne se produisent. D’où ma métaphore du dimanche matin : nous avons à nous reconstruire et continuer à vivre dans un immeuble en feu.
Pendant longtemps, j’ai tenté de faire abstraction de ce feu. Comme je le disais au début, cela m’arrive encore quelquefois de fermer les yeux. Mais si le féminisme m’a permis quelque chose c’est de prendre conscience de cet incendie et de m’armer pour le combattre.
Et c’ est là mon processus de résilience. Avec maladresse, avec incertitude, souvent en ne se sentant pas à la hauteur, quelquefois avec la crainte que ça ne serve à rien, je fais ce que je peux à mon niveau pour le combattre, cet incendie. Mais c’est plus fort que moi. J’ai besoin d’agir pour que ce que j’ai vécu, n’arrive pas à d’autres. J’ai un peu l’impression de perdre la guerre pour l’instant. Le féminisme, c’est l’action organisée pour éteindre un incendie.
L’enjeu est double : mettre fin aux violences sexuelles mais également aider les victimes à vivre enfin sereinement.