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Le Baron Samedi

   Jade jouissait d’une liberté dont elle savait pertinemment que beaucoup de femmes – y compris certaines de ces amies – étaient privées. Pas forcément parce qu’une loi ou un ordre les en empêchaient. C’était leur esprit, leur crainte d’être jugée qui les maintenait sur une route droite lisse et rigide, se disait-elle.

Cécile, sa meilleure amie, lui avait maintes fois dit que cette idée tournait à l’intolérance. Pour elle, son amie s’entêtait. Elle se refusait à l’amour, préférant virevolter d’un amant à un autre. Cécile vivait sa liberté sexuelle à l’abri de son couple. Entre les deux femmes gisait une incompréhension empreinte d’une mince jalousie réciproque. 

Un jour, les deux femmes flânaient dans les rues d’une Nouvelle-Orléans métissée lorsqu’elles passèrent devant une boutique récemment installée. Dans la vitrine étaient installés différents sachets d’herbe séchée, encensoirs et runes. Jade recula de quelques pas dans l’espoir de trouver une enseigne, un nom … bref quelque chose qui aurait pu la renseigner mais le lieu était décidé à maintenir ses mystères. L’intérieur était baigné dans une pénombre chaleureuse dans laquelle s’agitait un homme avec un curieux chapeau. Précédant son amie d’un temps, Cécile ouvrait déjà la porte lorsque Jade tourna la tête. La jeune femme était ravie que son amie ait pris l’initiative, attirée par l’ambiance étrange que dégageait l’endroit mais surtout curieuse de voir l’homme qui s’était maintenant retourné vers la porte. Il les accueillit avec un léger sourire, des yeux en amandes qui provoquèrent chez Jade une brûlure qu’elle connaissait bien. Elle le désire à l’instant. L’homme à la peau ébène semblait aussi mystérieux que l’endroit. Par dessus des dreadlocks parfaitement dessinées, il portait un vieux chapeau haut de forme qui lui rajoutait encore plus de hauteur qu’il n’en avait déjà. Bizarre était l’adjectif qui vint en tête de Jade mais elle n’eut plus qu’une envie, le découvrir. Les deux jeunes femmes avancèrent lentement entre les étales d’herbes et de fleurs séchées. Sur les murs, de longues plantes glissaient des étagères. Plus loin, se trouvaient des fétiches en bois. Un attira particulièrement la jeune femme. Comme le propriétaire, la statuette portait un haut-de-forme. Il était vêtu d’un veston à queue de pie, tenait une canne. Un masque blanc était peint sur la figurine en bois sombre. Jade eut envie de s’approcher pour ressentir le contact de l’objet qui sentait bon le bois, l’encens et le cigare ; cette dernière odeur surprit la jeune femme.  Sous sa main, le bois était agréable, chaud et lisse. À son contact, un frisson traversa son corps. Elle ferma les yeux instinctivement. L’instant d’après, elle sentait les grandes mains de l’homme au chapeau derrière elle. Elle fit volte-face. Il était trop proche et trop grand pour qu’elle voit correctement son visage mais ses paupières étaient closes. Irrésistiblement attirée, elle atteint sa mâchoire qu’elle embrasse. Ses lèvres et sa langue glissèrent contre sa peau noire et parfumée, du long de son cou vers sa pomme d’Adam. 

Beaucoup trop proche, elle sentait sa poitrine se soulever au même rythme que le sien. 

Beaucoup trop proche, elle sentait l’intumescence de son entrejambe.

Mais soudain elle ouvrit à nouveau les yeux. Elle était toujours face à l’étagère, sa main sur la statuette qu’elle lâcha d’un coup, dans l’incompréhension de ce qui venait de se passer.  En la retirant, sa main frotta l’objet et une petite écharde se planta dans son doigt.

  • C’est le Baron Samedi.

La voix profonde surgit de derrière Jade. Elle se retourna et fut surprise par la proximité du corps du propriétaire qui lui semble encore plus grand que dans son songe éveillé.  La même brûlure la submergea.

  • Vous lui avez piqué son haut-de-forme ? Bredouilla-t-elle 
  • Ou il a piqué le mien ! répondit-il. 

Il esquissa un sourire, découvrant de grandes dents blanches ; bien conscient de sa proximité mais ravi de la confusion qu’elle provoquait en Jade. 

  • Le Baron Samedi est une divinité dans le vaudou haïtien. Il règne sur le royaume des morts, les accueille et les accompagne.
  • Morbide ! pensa Jade à haute voix. 
  • Pas du tout. Vous seriez surprise de savoir comme la mort à avoir avec la vie. Comprenez, il est aussi la divinité de la résurrection. Il aime faire la fête, danser, boire et fumer. Et il adore les femmes, finit-il

Cecile, que Jade avait complètement occultée, réapparu à cet instant-là.

  • On cherche une mambo, lança-t-elle ?

Ils la regardent tous deux surpris mais l’homme d’un air plus circonspect. Jade n’avait aucune idée de ce dont son amie parlait et comprit assez vite que le passage dans cette boutique n’avait rien d’une vagabonderie hasardeuse. 

  • J’ai besoin… d’aide, ajouta-t-elle hésitante lorsqu’il s’enquit de savoir pourquoi. 

Son ton généralement haut et gai était mélancolique et douloureux.

  • Donnez-moi votre numéro, dit-il sobrement. 
  • Jade, tu donnes ton numéro au monsieur pour qu’il puisse nous rappeler.

Bien consciente de l’alchimie entre son amie et le tenancier, le ton de l’acolyte retrouva soudainement son entrain habituel, même coquin. Ce dernier remit un morceau de papier et un stylo à la jeune femme qui nota ses coordonnées. Il lui laissa une carte de visite avec son numéro personnel. Après l’échange, Cécile arracha une nouvelle fois son amie à sa contemplation pour l’entraîner dehors. 

A l’extérieur, un vent chaud de la Louisiane s’engouffrait dans les narines de Jade. Elle récupéra ses esprits qui semblaient sortir des brumes d’encens, d’herbes brûlées et de cigare. Le jour était plus sombre comme si plusieurs heures étaient passées alors qu’il lui semblait n’être resté que quelques minutes. Les deux femmes déambulaient dans un Burgundy Street. Sur le côté Cécile souriait malicieusement prête à l’interroger mais Jade ne lui laissa guère le temps d’éviter un sujet plus important. 

  • Une mambo ? De quoi s’agit-il ? 
  • Une prêtresse vaudou, répondit Cécile.

Entre les crises politiques et sanitaires, elle retournait dès que possible en Haïti, très fière de ses origines mais jamais elle n’avait parlé de vaudou ou de religion en général. Il semblait à Jade que son amie était la femme la plus pragmatique du monde, que pour cette dernière l’univers des déités et des esprits était réservé aux candides qui attendaient encore que le pays n’arrivent à la prospérité que par l’action d’une volonté autre que par la leur. Cécile n’était pas de cet acabit là. Pour elle, chacun était maître de son destin et de sa réussite … que ce soit en politique ou en amour. 

  • Karl et moi ! rajouta Cécile

Les couples … Le concept échappait totalement à Jade mais c’était une bonne oreille. Cécile se mit à parler de Karl, d’elle, de cette année qui s’était écoulée sans que leurs corps ne se mêlent. Pourtant elle l’aimait, pensait-elle. Jade connaissait l’amour de son amie pour son compagnon. Tantôt les jalousant, puis à d’autres moments, incapable de comprendre cette abnégation à la réciprocité variable. Vint un sms suspect, une attitude suspecte, une odeur qui le fut tout autant. Depuis leur dernier voyage en Haïti, Cécile s’était laissée aller à l’idée que, peut-être, il y avait des dieux, des esprits et surtout des mauvais sorts ; que peut-être ces derniers pouvaient être la cause des maux de son couple. Jade mourrait d’envie de raconter son rêve éveillé à Cécile mais elle eut peur de l’encourager. Les deux femmes finirent leur route en silence déstabilisées dans leur certitude : Jade, pour le première fois, obsédée par un homme et Cécile qui se sentait, malgré elle, propulsée dans des sentiers inconnus.

Le soir venu, Jade s’allongea dans son lit encore incertaine de ce qu’il s’était passé cette après-midi. Bizarre, était encore une fois l’adjectif qui lui vint en tête. Ses idées étaient encore habitées par cette rencontre inhabituelle. Elle eut l’impression de sentir encore ce parfum tout autour d’elle, comme si elle la suivait. Une légère douleur au doigt la saisit, lui rappelant cette écharde jusqu’ici indolore. Elle s’assit dans son lit et pinça sa chair pour extraire le morceau à peine visible sous l’épiderme mais impossible de l’en déloger. La jeune femme saisit une pince à épiler, tentant une approche délicate mais toujours infructueuse. À chaque tentative, l’écharde semblait s’enfoncer un peu plus profondément en elle, décidée à y rester. Tout comme le souvenir de l’homme au chapeau dans son esprit. Cédant, Jade nettoya son doigt à l’alcool puis retourna sous sa couette. Cette nuit-là, elle fit le rêve le plus vivant de sa vie. 

Dans son rêve, elle se trouvait à nouveau dans la boutique qu’elle traversait, passant à nouveau devant les étales de plantes et fleurs séchées, les squelettes d’animaux, les bâtons d’encens. Elle se dirigeait instinctivement vers le fond englouti par la pénombre, un abîme duquel résonnait un bruit comme des centaines de grillons en colère. Le lieu exhalait encore ces arômes d’encens, de bois et de cigare mais ces effluves semblaient provenir du même endroit que le bruit. Elle s’approchait de l’abysse qui refusait toujours de révéler ses secrets. Des voix féminines accompagnaient maintenant le bruit des grillons, chantant en cœur dans une langue inconnue. Elle distinguait un escalier en pierre dont le bas était éclairé par une faible lueur rouge. Le son des grillons résonnait alors de plus en plus fort, tout comme le chant des femmes à mesure qu’elle descendait les escaliers, une marche après l’autre, les deux mains de part et d’autre du mur. 

Lorsqu’elle fut enfin en bas, il était là, au fond d’une salle plongée dans un bain de lumière écarlate. Elle traversa le sous-sol avec des bribes du rêve éveillé de l’après-midi ; un rêve dans le rêve. La pièce est petite, pleine d’hommes et de femmes. Certains chantaient, d’autres dansaient agitant ce qu’elle croit être des maracas d’où provenait ce son de grillons fous. Une foule était entassée dans cette petite pièce. Mais les rêves sont capricieux ; elle eut l’impression de passer des heures à la traverser. Ses yeux s’affranchissaient ci et là du regard noir de l’homme alors qu’elle tentait d’éviter des mêmes visages déjà croisés, encore et encore. Elle n’était plus sûre ; tous se confondaient. Il la regardait fixement, sans l’ombre d’une once d’impatience, joueur comme si ce labyrinthe de corps était son fait. Jade avançait laborieusement vers lui et au fur et à mesure de son avancée, une chaleur rayonnait en elle ; une ardeur attisée par la chaleur et le frôlement des corps contre elle. L’insupportable bruit des maracas brouillait son esprit, endormait ses sens tout comme la lumière rouge et poussiéreuse qui formait un voile sur ses yeux laissant cependant transpercer l’ébène de sa peau. Elle ne pouvait être que dans un rêve. À la fois doux et douloureux. Au prochain contact qu’aurait sa peau, au prochain regard qu’auraient leur yeux, elle pourrait s’effondrer au milieu de la pièce, inondée d’un plaisir dont il est maître à distance. Fiévreuse, elle avançait vers lui comme on approche de l’orgasme mais un son strident l’arracha à sa contemplation. L’image de son geôlier devint flou, tout comme les corps autour d’elle. Il avait disparu lorsqu’elle ouvrit les yeux sur sa chambre inondée par la lumière placide du matin. 

Déjà 8h et pourtant il lui semblait ne pas avoir dormi. Sa journée de travail fut régulièrement interrompue par la pensée obsédante de l’homme au chapeau. Son regard fit des allers retours de son écran d’ordinateur à son portable. Pas de message. Le soir, Jade était épuisée par la nuit précédente mais excitée par l’attente d’un message de sa part. Son doigt était plus douloureux que la veille. Elle l’examina : l’écharde était toujours au même endroit. Elle voulut à nouveau le retirer mais celle-ci s’enfonçait. Le morceau de bois semblait avoir une volonté propre. Jade abandonna à nouveau, arrosa son doigt d’alcool à désinfecter puis finit par s’endormir près de son téléphone qui n’avait pas sonné. Le même rêve vint à nouveau la hanter. Les maracas, les chants, les corps qui la frôlaient, l’excitaient pendant que l’homme au chapeau gisait au fond de la pièce, spectateur de la lutte de Jade pour arriver jusqu’à lui. Elle ferait encore ce rêve la nuit suivante, puis la suivante, puis celle d’après.

  • Une semaine et il ne t’a toujours pas contacté. Peut-être devrions-nous y retourner. 

Cécile aussi attendait une réponse. L’obsession n’était pas la même mais tout aussi présente. Des légères cernes s’étaient creusées sous les yeux de Jade dont les nuits étaient de moins en moins reposantes. Les rêves étaient de plus en plus intenses tout comme l’envie de revoir l’homme qu’elle refusait de rappeler ; une envie qu’elle réprimait de toutes ses forces. “Je deviens folle” se disait-elle. Cécile aussi semblait sombrer dans la folie. L’amoureuse vouait son énergie à un homme qui dilapidait ailleurs les siennes. Lorsque Cécile rentrait, Karl n’était toujours pas là. Elle se lovait dans leur lit vide et froid, s’enroulait dans la couverture à bout de force et s’endormait baignée par ses propres larmes. Elle avait peur de ne plus y croire, ne s’y autorisait pas. Elle espérait coûte que coûte. Elle priait. Viendra un jour où il faudra qu’elle lâche prise, elle le savait mais en attendant elle tentait tout : le bon, le ridicule et l’impensable. 

De son côté Jade rêvait. Encore et toujours ce même rêve: la boutique, les odeurs de bois, de cigare et d’encens ; un escalier sombre qu’elle descendait. Lorsqu’elle arrivait à nouveau en bas, il est toujours là, au fond de la salle plongée dans un bain de lumière rouge. Soudainement une lumière blanche inonda la scène. Éblouit, elle ferma les yeux. Elle n’eut le temps que de l’apercevoir. La lumière s’effaça, comme une vague retourne à la mer et Jade retrouva la vue. Elle était submergée jusqu’aux hanches dans l’eau d’une rivière. L’endroit lui était inconnu. Elle reconnaissait cependant les maracas accompagnés par ces mêmes chants étranges, rejoints maintenant par le son de la pluie tombant sur l’eau. Il y avait là encore, des femmes et hommes mais ceux-ci lui tournaient le dos, rassemblés autour d’un événement qu’elle ne pouvait voir. Elle s’approcha et reconnut l’homme sans son chapeau, les deux mains dans l’eau limpide de la rivière. Une de ses mains maintenait le buste d’un corps totalement immergé pendant que l’autre tenait la tête. Lorsque le corps jaillit enfin de l’eau, le rassemblement autour des principaux protagonistes s’évapora à l’exception de Jade qui assistait à la scène. L’eau coulait des cheveux bruns de la baptisée, ruisselant le long de son corps vêtu d’une légère robe blanche qui trahissait toutes les formes généreuses de son corps ; l’ampleur de ses hanches, le rond de ses fesses, la courbure de sa taille que l’homme au chapeau saisit, souriant. La femme à son tour l’enserra de ses bras et ils échangèrent un baiser passionné. Les battements du cœur de Jade s’accélèrent. Elle aurait souhaité fuir avant que les deux amants ne voient l’indiscrète qui peinait à cacher une émotion inconnue : la jalousie. L’idée lui tordait les boyaux mais elle ne put le nier. Elle était rongée par la jalousie à l’idée que les bras autour du cou de l’homme n’étaient pas les siens, que la taille qu’il tenait entre ses mains n’était pas la sienne. Leur baiser dura une éternité pendant laquelle Jade aurait préféré plonger sous l’eau mais il lui était impossible de se mouvoir. Elle restait figée dans la rivière, les gouttes de pluie perlant sur son visage. La jalousie ! Jade n’avait jamais été jalouse. Elle avait été amoureuse. Enfin ce qu’elle pense être de l’amour ! Mais elle n’avait jamais ressenti la peur de perdre quelqu’un, l’angoisse que son corps ou son âme ne lui soit plus accessible, qu’ils appartiennent à un autre. La femme vêtue de blanc s’approcha du rivage rejointe de près par son amant. Alors qu’elle se tournait pour attraper sa main, Jade pu apercevoir son visage ; un visage qu’elle connaissait bien: le sien. C’était elle l’amante de l’homme de ses rêves. 

Adossée aux racines d’un manglier, son double l’attira à lui pour l’embrasser à nouveau. La main de son aimé glissa le long de sa cuisse jusqu’à l’entrejambe. Prise par une envie impérieuse de le posséder, elle enlaça sa taille de ses jambes. Attrapant ses fesses, l’homme s’enfonça alors en elle. Après un instant dans ses profondeurs, prisonnier de son étreinte, il se mit à onduler. Ses va et vient arrachèrent un gémissement de concupiscence à l’autre Jade, la tête posée contre les racines de l’arbre, les yeux vers le ciel et son cou offert aux lèvres de son amant. L’observatrice sentit elle aussi monter les prémices d’un spasme exquis alors que les amants continuent leur danse de plus en plus frénétique. L’onde menaçait, gonflant sa poitrine. Tues par le plaisir, elles accueillèrent l’orgasme, bouches ouvertes, comme une offrande. 

Jade se réveilla dans des draps humides d’une jouissance délicieuse, las mais décidée à le voir.

Le lendemain, les deux amies se donnèrent rendez-vous en fin de journée devant la boutique. Jade était pleine d’une émotion nouvelle, la sensation que l’on éprouve lorsque l’on se laisse aller au courant de l’eau avec le sentiment que, peu importe où l’on se rend, ce sera certainement plus beau. 

Lorsqu’elles se retrouvèrent, Cécile semblait exténuée. Ses yeux arboraient les mêmes traces sombres que Jade mais sa mine était basse, éteinte. 

En passant la porte, Jade aperçut l’homme au chapeau. Toujours vêtu de son haut de forme, il contourna le comptoir pour les accueillir et sourit à Jade : 

  • Je vois que tu as eu mon message, dit-il se rendant vers le fond de la boutique. 

Jade ne saisit pas et n’eut le temps de le questionner car il leur fit signe de le suivre :

  • La cérémonie est en cours. Suivez-moi.

Les deux jeunes femmes empruntèrent le vieil escalier en pierre mais Jade s’arrêta : était-elle encore en train de rêver ? Elle entendait à nouveau le son des maracas au diapason de tambours battus. Arrivée en bas cependant, un nouveau monde les attendait. Ici et là, des hommes et des femmes aux visage ébène peints en blanc dansaient dans une pièce beaucoup plus grande que dans ces rêves. Au centre de la pièce, un autel sur lequel trônait un large crucifix en bois ainsi que plusieurs bougies dont la cire coulait jusqu’au sol. 

Cecile dépassa Jade pour s’arrêter à quelques pas d’une femme plus âgée qui tournait autour de l’autel en psalmodiant. Vêtue d’une robe blanche à l’instar des autres danseuses, elle était cependant la seule à porter un châle de couleur sur ses épaules ainsi que des perles qui décoraient sa taille. Jade ne connaissait rien aux rites vaudous mais il était évident qu’il s’agissait de la mambo. Cécile se mit alors à danser sur une musique, de plus en plus pressante. Jade, elle, cherchait les yeux de l’homme au chapeau mais l’atmosphère chargée troublait ses sens. Le son douloureux des tambours l’obligeait à se plier à leur rythme. Les yeux fermés, elle se mit alors à danser mais elle sentait son regard sur elle. Les percussions l’emportèrent vers une transe. 

Quand elle les rouvrit, la femme au châle tenait entre ses mains le visage en larme de Cecile, un flot de larmoiement puissant qui l’a faisait convulser. Jade assista à la scène sans pouvoir intervenir, consciente du sacré de l’instant. La vieille dame se pencha alors vers l’oreille de Cécile pour y souffler quelques mots que Jade ne put entendre. Elle s’écarta ensuite levant ses mains que Cécile tenait fermement. La vieille mambo dit à nouveau quelques mots toujours inaudibles quand soudain Cécile lâcha prise, ses mains tombèrent alors lourdement au sol. Elle s’abandonna alors, étendue à terre avant que deux femmes viennent la relever pour la prendre dans leur bras. Jade dansait toujours. Elle n’était pas certaine de ce qui venait de se passer mais quelque chose lui dit que Cécile était satisfaite. 

Rassurée de voir son amie à nouveau sourire, Jade délaissa la scène un instant lorsqu’elle ressentit à nouveau le regard de l’homme au chapeau, comme un appel. Il l’observait, imperturbable, à l’entrée d’une autre pièce située de l’autre côté. Il portait le même chapeau mais son visage était également peint en blanc. Il sourit en la regardant, cigare en bouche. Elle céda alors au magnétisme qui l’attirait à lui et le rejoignit. Personne ne les remarqua, personne ne se retourna. Tous attendaient, suspendus à la musique, l’arrivée des Lwa ; les esprits vaudous. Jade se saisit alors de son visage peint pour l’embrasser alors que la porte se referme sur eux ; les isolant de la cérémonie mais toujours sous le regard gracieux des Dieux.

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